L’ambition, selon Sann Sava, directrice de création exécutive, DDB Montréal

Adriana Palanca
6 min readNov 10, 2017
« L’ambition est bien plus qu’une histoire d’argent ou de reconnaissance sociale. »

Qu’est-ce que l’ambition signifie pour vous?

Selon moi, l’ambition est bien plus qu’une histoire d’argent ou de reconnaissance sociale. C’est le moteur de mon accomplissement personnel.

C’est la volonté de faire la différence et d’aller plus loin.

Pour être honnête, c’est très frustrant, car j’ai des ambitions à tous les niveaux. Je cherche à exceller dans tout ce que j’entreprends, que ce soit une campagne publicitaire, un gâteau de fête pour mes enfants, un entraînement de vélo ou une surprise pour mon amoureux. Quand le résultat n’est pas à la hauteur, je me déçois, alors je recommence encore et encore.

Quand j’étais étudiante, un professeur nous avait rendu nos résultats d’examen en nous disant que dans la vie, ce ne sont pas les meilleurs qui réussissent, mais bien les plus persévérants. Cette phrase m’a tellement marquée que j’y pense toujours lors de mes échecs. Elle me motive beaucoup.

De toutes mes ambitions, la plus importante est de continuer à être heureuse et surtout de continuer à rendre ma famille heureuse.

Comment vos ambitions vous ont-elles aidée dans votre carrière?

J’ai commencé à travailler dans une boulangerie à l’âge de 12 ans. Mes parents n’avaient pas les moyens de me donner de l’argent de poche, alors je me suis débrouillée. Je me levais à 4 h du matin pour aller nettoyer les plaques à croissants et assister le pâtissier. Je pense que c’était la meilleure des écoles, ça a contribué à me donner le goût de la réussite et du travail bien fait. C’est aussi ça, l’ambition. À partir de ce moment-là, je n’ai jamais cessé de travailler.

Des années plus tard, j’ai passé mon bac en mathématiques en Suisse. Je voyais mes amies se diriger vers des carrières si féminines, c’était tellement cliché. Je n’avais pas le goût de suivre le troupeau. J’ai rassemblé mes économies et j’ai quitté le pays avec mon sac à dos et un mélange de peur et d’euphorie. Je suis arrivée dans un internat de jeunes filles à Bruxelles qui me demandait 168 euros par mois pour me loger et me nourrir. Je ne connaissais rien, ni personne, c’était donc parfait.

J’ai fait une formation en arts plastiques avant de passer ma maîtrise en publicité. J’étais la reine du recyclage. Je pense que j’ai dû dépenser 100 $ en matériel artistique en 4 ans. Ça aussi c’était l’ambition : la volonté de réussir sans utiliser les mêmes moyens financiers que les autres. Les profs pensaient que c’était un engagement écologique et trouvaient ça très beau. Tant mieux pour moi.

Mon portfolio m’a ouvert la porte des grandes agences de Bruxelles. En y travaillant, j’ai constaté que les femmes étaient réceptionnistes, assistantes, designers, mais aucune d’elles n’était à un poste de pouvoir. Ce boys’ club me révoltait. Je ne trouvais vraiment pas écho à mes valeurs et à mes aspirations. Dans le fond, j’ai toujours été féministe sans le savoir. Je n’ai jamais voulu avoir plus de chances qu’un homme, j’ai toujours voulu que ce soit juste. Ça me semblait impossible en Europe; je suis donc partie.

Arrivée à Montréal, j’avais l’ambition de travailler pour les meilleures agences de pub en ville. J’ai commencé à la pige et j’ai travaillé jusqu’à 100 heures par semaine pour arriver à me faire une place. À force, j’ai réussi à mettre sur mon tableau de chasse toutes les plus prestigieuses boîtes de la métropole. Mon emploi du temps était tellement chargé que j’avais le loisir de choisir mes mandats et mes clients. C’était du gros luxe. J’ai même reçu plus d’une vingtaine d’offres d’emploi, mais je ne voulais pas me caser. Je visais à devenir un jour DC [directrice de création], mais bien plus tard.

Lorsque je suis rentrée chez DDB pour une pige, je suis vraiment tombée en amour avec l’équipe et les clients. Mes collègues sont jeunes, motivés et ont vraiment le goût de faire une différence. J’y suis restée six mois et je me suis décidée à faire le grand saut. Dans le fond, j’ai juste pris un peu d’avance sur mes plans.

L’ambition fait partie de mon équilibre. Sans elle, je ne serais pas où je suis maintenant. Aujourd’hui, elle me motive à devenir la meilleure des DC (rien de moins). J’ai encore beaucoup de croûtes à manger, mais ce n’est pas grave. Chaque jour, j’apprends et je tente de m’améliorer.

« C’est évident que ma famille c’est l’aspect le plus importante de ma vie mais ça ne veut pas dire que je suis prête à sacrifier tout le reste. Il y a d’autres façons de faire, il y a un juste milieu. »

Vous a-t-on déjà critiquée pour vos ambitions?

Évidemment, c’est très mal perçu d’être ambitieuse et mère. Il y a beaucoup de culpabilité et de non-dit… « Ah ouais, tu n’as pas pris ton congé parental? C’est ton chum qui est resté avec les enfants? Ah… (silence)… C’est bien. (malaise) » Ben oui, j’ai pris des décisions pour mon entreprise. C’est évident que ma famille est l’aspect le plus important de ma vie, mais ça ne veut pas dire que je suis prête à sacrifier tout le reste. Il y a d’autres façons de faire, il y a un juste milieu. Après tout, si je ne suis pas épanouie, comment pourrais-je rendre ma famille heureuse?

J’ai la chance d’avoir un amoureux extraordinaire (qui, en plus, est l’homme le plus sexy de l’univers). Il comprend mes ambitions, me soutient et m’accompagne dans toutes mes décisions. Mis à part lui, mon entourage et ma famille perçoivent mes ambitions comme égoïstes. Ça fait mal, mais même si j’ai souvent pleuré ma vie dans ma douche et crié fort fort fort dans un coussin, je n’ai jamais laissé le regard des autres dicter mes décisions. Je me remets souvent en question, mais rarement pour aller dans le sens du courant. Je fais mes choix, mes sacrifices et j’assume. J’ai rarement des regrets.

Comment soutenez-vous les ambitions des femmes autour de vous?

Je les soutiens de plusieurs façons. La première, c’est de mener ma vie comme je l’entends. Ça semble prétentieux, mais je me dis que si j’ose le faire, celles qui hésitent pourraient voir que ce n’est pas si difficile.

Quand je parle avec des femmes, je les pousse à se dépasser. C’est peut-être mes 10 ans d’enseignement de cardio-vélo qui ont laissé des traces. Je fais valoir leurs qualités et j’essaye de trouver des solutions pour les aider à atteindre au plus vite leurs objectifs. On fait un plan d’action. C’est bien beau les paroles, mais il faut aussi du concret.

J’aime ça voir mon entourage exceller, en particulier quand il s’agit de femmes. Je trouve que ça montre l’exemple et que c’est l’occasion d’offrir à nos filles un monde plus juste.

Que devrait-on mettre en place pour encourager les femmes à avoir de l’ambition et à la nourrir?

Je pense qu’une des solutions serait de repenser l’éducation de nos enfants. Aujourd’hui encore, les garçons et les filles ne sont pas élevés de la même façon, on ne leur inculque pas les mêmes valeurs. C’est triste de voir à quel point c’est ancré dans notre société.

J’essaye d’élever ma fille comme mon garçon, mais je me heurte presque tous les jours à des habitudes injustes de la société. La fille doit être belle et sensible, et le garçon doit être fort et téméraire. On le voit très bien dans les histoires de princesses et de chevaliers. J’ai abandonné ma détermination à ne pas habiller ma fille en rose, mais je n’arrêterai jamais d’essayer de lui transmettre la joie du dépassement et le goût de la prise de risque. Je ne veux pas qu’elle ait honte de ses ambitions, je veux au contraire qu’elle en soit fière. Je veux qu’elle soit consciente du pouvoir qu’elle a de changer le monde.

Dans l’absolu, j’aimerais que toutes les petites filles, les adolescentes et les femmes puissent croire en leurs rêves et osent les réaliser, sans culpabilité.

Pour y parvenir, je pense qu’elles ont besoin de modèles inspirants, que ce soit des personnalités publiques comme Daniele Henkel, ou des femmes admirables dans leur entourage.

Quelles sont vos ambitions pour les 5 prochaines années?

La principale, c’est que je veux continuer à être heureuse et à rigoler tous les jours. C’est essentiel à mon équilibre. Je veux conserver la belle complicité que j’ai avec mon amoureux et je veux continuer à m’émerveiller devant mes enfants. J’aimerais aussi réussir à conserver mes amis et amies, malgré le peu de temps que je leur consacre…

Je me suis engagée dans l’aventure de directrice de création et je compte bien y exceller un jour. Je travaille fort pour mettre toutes les chances de réussir de mon côté. Dans 5 ans, je me vois avec quelques prix en plus sur mon étagère et quelques cheveux blancs.

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Adriana Palanca

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